Côte d’Ivoire: Thiam comme « un Galilée moderne » ? «Et pourtant l’IDH reste un outil précieux…», selon Parfait Kouacou, PhD, Professeur à Drexel University (USA)

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Dans le paysage politique ivoirien, une nouvelle controverse a récemment émergé, cristallisant les tensions entre pouvoir et opposition. Au cœur de ce débat se trouve un indicateur statistique : l’Indice de Développement Humain (IDH). Depuis que Tidjane Thiam, le président charismatique du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA), a évoqué cet indice lors de son meeting du 22 juin à Soubré, les réactions se sont multipliées, révélant à quel point le régime politique libéral en Côte d’Ivoire est devenu réfractaire à la critique. Analysons cette tempête dans un verre d’eau.

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Cette polémique n’est pas surprenante. Même si le régime ivoirien est particulièrement friand des évaluations internationales et que les plus hautes autorités aiment brandir les données des institutions de Bretton Woods, ils le font lorsque les chiffres sont favorables. Or, Tidjane Thiam a sorti cet indice dont on voudrait que les Ivoiriens n’en connaissent pas l’existence, car défavorable. La polémique a amené le président du PDCI-RDA, tel un Galilée moderne, à persister à défendre une vérité scientifique face à l’adversité. Il est revenu à la charge lors de son message pour les 64 ans de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Il a expliqué l’IDH en utilisant des exemples simples comme la régression dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’espérance de vie, et du coût de la vie, des aspects dans lesquels n’importe quel Ivoirien peut se reconnaître.

La polémique soulève une question fondamentale : quel crédit accorder à l’IDH dans l’évaluation du développement des pays? D’un côté, les partisans du gouvernement tentent de minimiser son importance, allant jusqu’à remettre en question sa méthodologie. Certains, parmi les partisans du régime au pouvoir qui n’ont pas compris la responsabilité qui vient avec l’exercice du pouvoir d’État, vont jusqu’à reprocher à l’opposition de brandir cet indicateur comme une preuve irréfutable de l’échec des politiques actuelles. De l’autre côté, les faits sont têtus : la vie est chère, le développement est inégalitaire. Et l’opposition n’a aucun effort à faire pour que l’IDH sonne vrai dans l’oreille des Ivoiriens.

Il convient de revenir à ce vrai débat. L’an dernier, à la publication de l’IDH 2021-2022, la Ministre du Plan et du Développement, Nialé Kaba, a célébré aux côtés d’autres membres du gouvernement la sortie de la Côte d’Ivoire, pour la première fois en vingt ans, de la catégorie des pays à niveau de développement humain faible pour rejoindre celle à niveau de développement humain moyen. À ce moment-là, le rapport IDH, qui est aujourd’hui vilipendé, avait beaucoup de crédit et la ministre Nialé Kaba avait souligné l’importance du rapport dans l’élaboration des politiques publiques et le suivi des progrès réalisés en matière de développement humain.

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(FILES) In this file photo taken on December 21, 2019 Ivory Coast President Alassane Ouattara arrives at the Presidential Palace to meet with his French counterpart in Abidjan, as part of a three day visit to West Africa. – Ivory Coast President Alassane Ouattara said on August 6, 2020 he will contest tense presidential polls in October, which come after years of political turbulence and civil war in the world’s top cocoa grower. (Photo by Ludovic MARIN / AFP)

Aujourd’hui, les détracteurs de l’IDH semblent avoir oublié ce que représente l’IDH. Ils avancent plusieurs arguments qui méritent d’être examinés. D’abord, le ministre de la communication, porte-parole du gouvernement, Amadou Coulibaly, l’a qualifié de « statistique discutable » lors de sa conférence de presse du 26 juin. D’autres commentateurs proches du régime soulignent notamment que cet indice ne prend pas en compte certaines spécificités culturelles africaines, comme la solidarité communautaire ; un relativisme culturel mal placé que ceux qui l’avancent ne peuvent soumettre à un débat scientifique. Ils arguent également que la comparaison avec des pays développés est peu pertinente, compte tenu des différences historiques et structurelles. Certains vont même jusqu’à affirmer que l’amélioration de l’IDH n’est pas une priorité face aux impératifs de croissance économique.

Cependant, ces critiques sont largement infondées et révèlent souvent une compréhension limitée de l’IDH et de son utilité. Loin d’être un simple classement arbitraire, cet indicateur offre une vision multidimensionnelle du développement, intégrant des aspects cruciaux tels que la santé, l’éducation et le niveau de vie. Il permet ainsi de dépasser la seule mesure du PIB, dont les limites sont aujourd’hui largement reconnues.

De plus, l’évolution de l’IDH sur le long terme fournit des informations précieuses sur les progrès réalisés par un pays. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, on observe qu’il est passé du rang de 125e en 1999, date du premier coup d’état de l’histoire du pays, à 141e en 2000, un an après cette aventure antidémocratique. Vingt ans plus tard, en 2020, le pays était 162e. Lorsqu’il émergea un tout petit peu à la 159e place en 2022, on célébra l’IDH, avant de le dénoncer aujourd’hui, lorsque nous sommes passés à la 166e place.

Il est également important de noter que l’IDH permet des comparaisons régionales pertinentes. Ainsi, le fait que le Ghana voisin se maintienne parmi les pays à niveau de développement humain moyen en 2023 offre un point de référence intéressant pour évaluer les performances relatives de la Côte d’Ivoire. Des pays comme le Cap-Vert ou la Guinée équatoriale sont encore mieux classés au sein de cette catégorie de niveau moyen. Ces comparaisons, loin d’être stériles, peuvent stimuler une saine émulation et encourager l’adoption de politiques efficaces.

Il faut aussi inscrire ce classement dans un contexte où le Groupe de la Banque Africaine de Développement projette que l’Afrique comptera, en 2024, onze des vingt pays ayant la croissance économique la plus forte au monde. L’Afrique devrait rester la deuxième région connaissant la croissance la plus forte après l’Asie. La Côte d’Ivoire, avec 6,8 %, figure parmi ces onze pays à forte croissance, mais cette liste est menée par le Niger dont le taux de croissance est projeté à 11,2 %, suivi du Sénégal à 8,2 %. Si ces données ont un sens, c’est celui de dire que l’IDH n’est pas la croissance économique, mais bel et bien la redistribution équitable des ressources.

Face à ces éléments, il apparaît clairement que l’IDH, malgré ses imperfections, reste un outil précieux pour guider les politiques de développement. Plutôt que de le rejeter en bloc ou de l’ériger en vérité absolue, au gré de nos intérêts, il convient de l’utiliser de manière éclairée. Les décideurs ivoiriens gagneraient à s’en saisir comme d’un levier pour orienter leurs politiques. Car au-delà des chiffres et des classements, c’est bien l’amélioration concrète des conditions de vie des Ivoiriens qui doit rester l’objectif ultime. Et cela, le président du PDCI a bien compris. C’est en cela que son dernier message sur l’IDH sonne comme un Galilée moderne : « Et pourtant, elle tourne ! »

Parfait Kouacou, PhD

Citoyen Ivoirien de la Diaspora

Professeur à Drexel University

Philadelphie, Pennsylvanie (USA)


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